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PHIL SHOENFELT
Interview with Bruno Juffin for ROCK SOUND (F), 1994

Comme si le fait d'être américanophile ne suffisait pas à faire de lui un exilé de l'intérieur au sein d'un Rock Anglais farouchement insulaire, Phil Shöenfelt chante parfois avec les accents d'un Ian Curtis égaré en page Roots et Avoue un penchant pour la Littérature qui L Rendra suspect aux yeux des Punks drapés dans leurs Lambeaux de Street Credibility. Portrait d'un Étranger.

Je suis né dans une petite ville anglaise, Worcester et j'y ai passé une adolescence assez traditionnelle. J'aimais les Stones, Frank Zappa, Captain Beefheart, et je jouais de la guitare dans mon garage. En même temps, je me suis très tôt intéressé à la littérature et à la Beat Generation en particulier. Je me suis mis à lire la poésie de Ginsberg, Gregory Corso, Lawrence Ferlinghetti, et surtout les romans de Kerouac, qui m'a toujours fasciné. En fait, j'attache autant d'importance aux mots qu'à la musique; pendant un temps, je m'étais lancé dans les écrivains français de la fin du 19ème siècle, je lisais les poètes symbolistes, et aussi Baudelaire et Rimbaud. D'ailleurs, en matière de rock, j'ai un net penchant pour les auteurs qui soignent leurs textes, j'adore Lou Reed et Leonard Cohen, je ne comprends pas pourquoi tant de gens le trouvent sinistre. C'est un merveilleux parolier, il est plein d'humour, tout en étant profondément sérieux.

Donc, vos goûts vous portaient plutôt vers l'Amérique ...

Oui et j'y suis parti comme touriste, je ne comptais pas m'y installer mais je suis tombé amoureux d'une fille et j'ai fini par passer cinq ans à New York où je me suis sérieusement mis à la musique. J'ai de bons souvenirs de cette période, les Américains sont des gens plutôt chaleureux. J'ai fini par former un groupe qui s'appelait Red Khmers, je chantais et composais la plupart des morceaux, ca ne se passait pas trop mal pour nous mais notre manager était Nat Finkelstein, un type qui avait fait partie de l'entourage d'Andy Warhol à la Factory, celui qui a pris toutes ces superbes photos dans les 60's. Il doit avoir une bonne soixantaine d'années maintenant et ce n'était peut-être pas le manager le plus professionnel dont on puisse rêver ... Toujours est-il que le groupe a fini par se séparer.

Vos chansons ne donnent pas une vision très rose de la vie à New York ...

C'est vrai. J'y ai passé de bons moments mais j'y ai également eu ma part d'expériences malheureuses. J'ai des amis qui sont morts d'overdose, du SIDA, de mort violente même. Dans "Hospital", je me suis souvenu de fêtes de fin d'année que j'ai passées dans un hôpital prés d'union Square où j'etais en cure de désintoxication. C'est ce que j'ai vécu qui se rapproche le plus d'une expérience carcérale. Vous n'avez pas idée de ce qu'est un hôpital new yorkais ...

Quand dans "The Killer Inside", vous parlez de "la cage de son corps entièrement recouverte de peau", est-ce une façon de dire que pour l'âme, le corps est une prison?

Oui, c'est ce genre d'idée. Mais le personnage qui voit les choses de cette façon est un psychopathe, quelqu'un de vraiment tordu. En tuant cette femme, il a presque l'impression de lui rendre service, de la libérer. Moi, je ne conseillerais pas d'employer ce genre de méthode ! (rires) Mais je crois que de gens comme Ed Gein, le type sur qui "Psychose" est basé, peuvent être à considérer le fait d'assassiner quelqu'un comme un acte de charité. C'est un sujet assez fascinant, et si vous lisez le "Love and death in the American novel" de Leslie Fiedler, vous verrez que ca remonte aux origines mêmes de la culture américaine. Le sexe, la solitude et la mort y sont étroitement mêlés. C'est une société violente, une société énergique dans laquelle les gens sont toujours en quête de quelque chose. Ceux qui échouent, qui sont relégués à l'anonymat deviennent parfois dingues. Ils moisissent au fond d'une sorte de puits de colère et de ressentiment. Dans la sous-culture rock, il y a des tas de gens qui sont fascinés par ces tueurs en série. Lydia Lunch, par exemple, a exploré ce genre de domaine très en détail. Les Beach Boys ont enregistré une chanson de Manson, longtemps avant les Guns'n Roses.

Dans l'East Village, ce genre de théme semble particuliérement à la mode ...

Pour beaucoup de gens, il s'agit heureusement d'une simple pose. Mais j'ai eu des petites amies qui travaillaient comme dominatrices dans des clubs spécialisés dans la douleur. Une d'elles a travaille pour une nommée Terence Sellers, qui sous le nom d'Angel Stern a écrit un bouquin à succès intitulé "The correct sadist". C'est un bouquin intéressant, elle dirigeait une maison pour masochistes fortunés, dans uptown Manhattan. Il y avait aussi un club appelé "Belle de Jour" où se rendaient de stars du rock.

Comment votre public réagit-il quand vous abordez ce genre de sujet?

En matière de rock, en Angleterre surtout, les gens sont pour la plupart imperméables à l'ironie. Il faut leur mettre les points sur les i, ce que je n'aime pas faire. Ils ne se rendent pas compte que dans mes chansons, il y a une bonne dose d'humour. Ils ne voient que le côté déprimant. Je crois qu'il vaut mieux ne pas trop en rajouter et essayer d'introduire le sens de la compassion dans ce qu'on écrit. Il faudrait peut-être tenter de commettre certains actes, et accepter d'éprouver de la compassion pour la victime, bien sur, mais aussi pour le criminel. Je crois qu'à la fin de ma chanson, le tueur peut se racheter ...

Visiblement, l'Amérique vous a marqué. Comment s'est passé votre retour en Angleterre?

ça a été très pénible. C'est en revenant dans mon pays que j'ai vraiment ressenti un choc culturel ... L'Angleterre est si mesquine, petite, dépourvue d'horizon. J'ai vraiment eu du mal à m'y réhabituer, il a fallu que je trouve un emploi, et comme j'aime la littérature, j'ai repris mes études et maintenant j'enseigne l'anglais dans une école d'Hackney, dans l'East End de Londres. C'est près de Whitechapel et ça n'a guère changé depuis l'époque victorienne. C'est un quartier dur, mais les gosses y sont attachants. Heureusement, car certains vivent dans une misère que l'on croirait sortie d'un roman de Dickens.

Vous menez donc deux carrières de front ...

Oui et "God is the other face of the devil" est mon second album. Le premier s'intitulait "Backwoods Crucifixion" et contenait une première version de "Charlotte's room".

Vous utilisiez déjà une imagerie religieuse, tourmentée. Comment se fait-il que votre musique soit si mélodieuse?

Je ne sais pas, ça n'a rien de délibéré, même quand mes paroles semblent tirer dans une direction opposée, ce genre de mélodie me vient naturellement. Je pense qui si en plus la musique était totalement atonale, ça ferait peut-être un peu trop pour l'auditeur; j'aime bien des groupes comme les Swans, qui jouent une musique plus torturée, mais mes influences dominantes sont plus classiques. J'aime la country et la musique pop, le gospel aussi et en ce moment, je commence sérieusement à m'intéresser à la musique folk d'Europe Centrale, à la musique espagnole aussi; d'ailleurs, à la fin de "Well of souls", je joue un petit solo de guitare espagnole.

Vous sentez-vous proche de certains musiciens contemporains?

Il y a quelques semaines, j'ai joué en première partie de Nick Cave et je garde un excellent souvenir de ce concert. Sinon, je suis allé voir le Velvet Underground à Wembley et j'ai vraiment été impressionné par le jeu de guitare de Lou Reed. Je vous parle là de gens que j'admire énormément, sinon je suppose que l'on pourrait dire que je suis proche d'une certaine scène underground londonienne, des gens qui comme moi jouent parfois au Falcon à Camden Town ... Mais où que je sois, je me sens toujours un peu étranger au milieu des autres. Ce n'est pas que je sois asocial, c'est simplement que je me sens souvent seul, ce qui d'ailleurs n'a rien de surprenant dans une ville en pleine décadence comme Londres.







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